Qui sera prêt ?
Homélie pour le 4ème Dimanche de l'Avent - Année B
Dimanche 24 décembre 2023
Demandons pour cette nuit une étoile et un cœur pur
Tout est prêt. Tout ? Non. Car des parties de notre terre, de notre Église, et de nos âmes résistent encore et toujours aux appels divins.
Demain, le Seigneur viendra. Qui l’attend ? Les temps n’ont sans doute pas beaucoup changé depuis la veille du premier Noël… Qui l’attendait ?
Mais rendons-nous à Bethléem pour voir ce qui s’y passe. En fait, il ne s’y passe rien. Voilà bien l’extraordinaire : la Vierge Marie et saint Joseph sont passés hier, et ont cherché un lieu décent pour la naissance. Rien. Personne. Aujourd’hui, ils sont à quelques centaines de mètres. Ils préparent dans une grotte la naissance qui aura lieu dans quelques heures. Et à Bethléem, à quelques centaines de mètres de la Sainte Famille, rien ne se passe… Ou plutôt, il règne une grande agitation : c’est le recensement. Il y a donc beaucoup de passage, de commerce, d’échanges, d’allées et venues… Bethléem n’est pas une capitale, mais c’est tout de même la ville de David. L’atmosphère ressemble un peu à nos marchés de Noël, qui sont souvent complètement à côté de ce qu’ils sont censés rappeler. On échange, on vend, on achète, on commente, on déguste… Mais on oublie Celui dont on célèbre la naissance. À Bethléem, en ce jour, il est ainsi : on s’inscrit, on achète, on vend, mais l’essentiel, qui se déroule à quelques centaines de mètres, est totalement ignoré. La Sainte Famille est passée hier dans les rues, et personne n’a rien vu…
Alors éloignons-nous de la ville, et approchons-nous de la grotte. Pour y aller, on prend un chemin qui passe au milieu des champs. Des bergers, un peu marginaux, gardent leurs troupeaux. Ils vivent à l’écart du bruit et de l’agitation. De là, on voit mieux le ciel, la nuit… Et cette nuit encore, comme toutes les nuits, ils se relaieront pour veiller. Eux seront prêts.
Nous arrivons à la grotte. Quel silence… Quel calme… Quel recueillement… Ils ne sont que tous les deux : la Vierge Marie et saint Joseph. Ils échangent peu de paroles. Ils prient. La Vierge Marie garde dans sa mémoire et médite dans son cœur ces paroles de l’ange, entendues il y a neuf mois, et qu’elle a méditées tous les jours depuis – comment pourrait-il en être autrement ? « Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut… Celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. »
Quant à saint Joseph, il repense lui aussi à ce qu’il a entendu quelques mois après la Vierge Marie : « L’enfant qui est engendré en [Marie ton épouse] vient de l’Esprit-Saint… c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Les paroles de saint Paul entendues ce dimanche sont particulièrement vécues par la Sainte Vierge et Saint Joseph en ces heures qui précèdent la naissance du Fils de Dieu : il s’agit bien d’« un mystère gardé depuis toujours dans le silence », et qui va maintenant être manifesté. Depuis l’annonciation, la Vierge Marie vit de la foi, comme nous. Elle a donc vécu ordinairement ces neuf mois. Neuf mois qui vont s’achever dans quelques heures. Elle porte seule, avec saint Joseph, l’ultime attente d’Israël et de tout le genre humain, à l’écart, dans cette grotte.
Mais alors, qui est prêt ? Le Fils de Dieu vient cette nuit à la rencontre de son peuple Israël. Où a-t-il trouvé son peuple prêt à l’accueillir ? Pas à Jérusalem. Pas à Bethléem non plus. Dieu a rencontré Israël dans cette grotte, en la Vierge Marie et Saint Joseph. Demain matin dans les bergers. Plus tard encore dans les rois mages. Ce sont eux qui forment l’Israël de Dieu, alors qu’ils semblent être à l’écart de ceux qui forment le peuple, mais ne sont pas prêts à l’accueillir. N’en est-il pas ainsi, aujourd’hui même, dans son Église ? Cette nuit, le Fils de Dieu va venir, une fois encore, à la rencontre de son peuple. Où le trouvera-t-il ? Peut-être à nouveau, comme alors, loin des structures et des institutions, loin des projets humains de réforme ou de mise au goût du jour… En tout cas loin de l’agitation, du bruit, des confusions, des revendications et des compromissions mondaines. Dieu trouvera cette nuit son Église dans le cœur des humbles, des fidèles, comme lors du premier Noël. Dans le cœur de ceux qui méditent sa Parole et la gardent. Dans le cœur de ceux qui sont proches de la Vierge Marie et de Saint Joseph…
Bernanos prête à Notre Seigneur ces paroles : « Dès le commencement, mon Église a été ce qu'elle est encore, ce qu'elle sera jusqu'au dernier jour, le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles, l'épreuve et la consolation des âmes intérieures, qui n'y cherchent que moi. Oui (…), qui m'y cherche m'y trouve, mais il faut m'y trouver, et j'y suis mieux caché qu'on le pense, (…) plus difficile encore à découvrir que dans la petite étable de Bethléem, pour ceux qui ne vont pas humblement vers moi, derrière les Mages et les Bergers. (…) Pour me trouver là, comme sur la vieille route de Judée ensevelie sous la neige, le plus malin n'a encore qu'à me demander ce qui lui est seulement nécessaire : une étoile et un cœur pur. » [Georges Bernanos, Frère Martin]
Demandons pour cette nuit une étoile et un cœur pur. Nous pourrons alors nous éloigner sans regret de l’agitation et de la confusion de Bethléem, et nous approcher paisiblement de la grotte. Nous serons peut-être un peu seuls sur ce chemin – parce que la majorité préfèrera rester à Bethléem. Qu’importe ? Nous rejoindrons sur le chemin ces quelques pauvres – les bergers et les rois mages – qui sont restés libres, forts seulement d’une étoile et d’un cœur pur. Alors s’accomplira pour nous la belle antienne de la liturgie de ce jour : « Demain, le Seigneur viendra. Au matin vous verrez sa gloire. »